Conakry, 06 Juin (IBC) – Le député Mamadou Bah Baadicko, président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD) a bataillé dur hier, vendredi, 05 juin 2020, à l’hémicycle, contre l’adoption par l’Assemblée Nationale monocolore de la loi autorisant la ratification de « la convention de prêt pour le financement des infrastructures d’enseignement technique et de formation professionnelle dans les huit régions administratives » du pays. Pour cet opposant radical, membre du groupe parlementaire « Alliance Patriotique », la Convention de prêt n’est assise sur aucune étude de faisabilité chiffrée. Votre quotidien en ligne InfosBruts.com vous propose ci-dessous l’intégralité du mémo que le député Mamadou Bah Baadicko avait préparé pour cette plénière de l’Assemblée Nationale.
Mémo Mamadou Baadiko BAH,
Député 9ème Législature Assemblée Nationale Guinée – 5 juin 2020
Objet : Discussion sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention de prêt intitulée :
« CONVENTION DE PRET, POUR LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES D’ENSEIGNEMENT TECHNIQUE ET DE FORMATION PROFESSIONNELLE DANS LES HUIT REGIONS ADMINISTRATIVES. »
J’ai pris connaissance du Projet cité en objet, ainsi que la communication y relative de Monsieur le Ministre de l’Enseignement technique, de la Formation Professionnelle, de l’Emploi et du Travail.
Après une étude approfondie de ces documents, j’ai l’honneur de vous présenter mes observations et conclusions.
EXPOSE DES MOTIFS PAR LE GOUVERNEMENT
I. Contexte et objectif général
C’est à juste titre qu’il est réaffirmé l’impérieuse nécessité de combler l’énorme retard accusé par notre pays dans le domaine de la formation technique et professionnelle. Nous avons eu à déplorer à chaque occasion, la situation dramatique du manque de personnel technique qualifié, afin d’assurer le développement économique et social de notre pays. Depuis pratiquement l’indépendance, même les acquis de la colonisation ont été annihilés par une politique ayant privilégié la formation livresque et dans les domaines non techniques. Seules les industries minières qui ne pouvaient pas fonctionner sans personnel technique qualifié, ont réalisé des formations pour leurs propres besoins. Il est donc indiscutable que nous avons là un énorme handicap sur la voie de notre développement, tant attendu par les pauvres populations guinéennes.
Au cours de la période 2011-2016, il y a eu un ministre que je me permets de nommer : Albert Damantang CAMARA, qui n’est autre que le petit-fils de mon Ministre de l’Education en 1961, lors de la grande grève des élèves, suite à la décapitation du Syndicat des Enseignants par la dictature naissante du PDG. Il semble bien que ce ministre a beaucoup travaillé pour remettre sur pied l’enseignement technique et professionnel dans notre pays. Mais au lieu de le laisser continuer ses projets, il a perdu son poste pour devenir à présent premier flic de la République ! Pauvre de lui.
Pourquoi a-t-il échoué ?
Nous n’avons aucun rapport précis sur les raisons de son échec à doter la Guinée en cinq ans d’un cadre adéquat de formation technique et professionnelle pour la jeunesse guinéenne. Il serait intéressant qu’il vienne ici un jour, nous donner son sentiment et son expérience là-dessus.
Pour notre part, nous attribuons cet échec de la politique du gouvernement en ce domaine à plusieurs facteurs :
1. Il n’y a eu que peu d’investissements en infrastructures et surtout en formation des formateurs. Les centres existants ont continué à végéter dans l’indifférence générale. Peu de moyens financiers ont été consacrés aux centres existants qui sont tous dans un état de délabrement avancé.
Conclusion : L’urgence n’est donc pas de lancer de nouveaux investissements, mais de faire un état des lieux, infrastructures et formateurs qualifiés en place et définir les besoins et les priorités. C’est un préalable si on ne veut pas seulement dépenser de l’argent en pure perte, comme hélas tous les projets initiés par ce gouvernement depuis 2011.
2. Les centres de formation ne reçoivent que des déchets scolaires « diplômés», sans aucun niveau leur permettant de suivre correctement une formation technique. A cela, il faut ajouter l’aversion de beaucoup de jeunes pour les travaux manuels. Chacun veut trôner dans les bureaux, climatisés de préférence, pour vivre de corruption, de détournements et de trafics de toutes sortes.
Conclusion : Il ne servira strictement à rien de dépenser autant d’argent – emprunté – pour construire des centres de formation, alors que l’enseignement de base est totalement défaillant, car ne formant que des semi-analphabètes qui, de toutes les façons ne s’intéressent pas à l’acquisition d’un métier leur permettant de vivre dignement et de contribuer au progrès de leur pays.
Il faut donc, toutes affaires cessantes, s’attaquer à l’énorme gangrène que constitue dans ce pays, l’enseignement de base. Sans vouloir prêcher pour ma chapelle, c’est un chantier qui devrait revenir à la Commission de l’Education à laquelle votre serviteur appartient, en tant que simple membre, mais pleinement engagé.
Pour ne pas abuser de votre temps, je joins à ce document un reportage fort intéressant réalisé par le site d’informations en ligne Guineematin.com en date du 16 avril 2019 et qui décrit la détresse du Centre de Formation de Donka, vétéran en la matière. Pour ceux qu’intéresse une descente aux enfers pour voir le désastre des centres de formation, je vous recommande de faire un tour à Kindia, qui ne figure même pas dans la liste des bénéficiaires des actions envisagées…
II. Objectifs spécifiques
Ce chapitre ne nous a pas paru suffisamment documenté pour savoir exactement quels métiers y seront appris. On ne sait pas par exemple que deviennent les Ecoles Nationales de la Santé de Kindia et Labé, à côté des 8 Ecoles régionales de Santé (ERS).
Remarques
Pour plus de transparence, il est indispensables de nous donner la liste des « Grandes Communes Rurales de Développement – CRD. » qui bénéficieront de la construction des CAFFP-S. Passons sur le fait que les CRD n’existent plus…
Une dernière question : que fait–on des Ecoles d’ingénieurs et la Faculté de Médecine qui sont les cadres de formation régulières du personnel de l’Enseignement Technique et Professionnel ?
III. Les termes et conditions de financement du groupe Palumbo pour la réalisation d’infrastructures scolaires
1. Sur les partenaires techniques et financiers de l’opération
A. Partenaire technique
On nous annonce une Société PALUMBO GROUP Limited. Pour une opération de cette importance (230 millions d’Euros), plusieurs questions capitales se posent :
Au plan juridique, cette société est enregistrée au Royaume Uni. Nous avons bien une adresse physique à Londres UK, sans plus. De même, cette société ne semble pas disposer d’un site web comme on se serait attendu pour un conglomérat supposé de ce genre. Plus inquiétant, cette grande société ne dispose pas d’une adresse de courrier électronique sur un serveur privé, comme c’est le cas de toutes les sociétés sérieuses opérant dans le monde international des affaires. Elle est logée chez AOL, comme un simple particulier, ce qui est plus qu’inquiétant.
. Au plan opérationnel, nous ne savons absolument rien sur les références internationales prouvées de cette société dans les domaines qui nous intéresse ici. Quels sont leurs moyens d’action : installations techniques, personnel, etc.
. Dans le document de la Convention de prêt, nous avons en dernière page l’Emprunteur et deux noms de prêteurs : l’un s’intitule Prêteur intitulé Trinity Wealth Management AG, représenté par Mme Freda Cornelia LAAS et La société du « Prêteur » PALUMBO GROUP LTD représenté par EGIDIO PALUMBO ( PDG ).
Laquelle des deux sociétés est – elle la prêteuse ?
Nos doutes sur ce partenaire sont confirmés par une trouvaille sur le Web :
La société PALUMBO GROUP Ltd n’existe que depuis le 5 mars 2018 et n’a pas 1 Livre Sterling de fonds propres! Elle n’a que deux employés – le patron et sa secrétaire. Elle est officiellement enregistrée au Royaume Uni comme « Société dormante ».
2. Partenaire financier
Le partenaire Trinity Wealth Management AG, représenté par Mme Freda Cornelia LASS (dont la fonction dans la société est inconnue), se dispense quant à lui de nous indiquer sa domiciliation précise, son site web, téléphone et son statut juridique dans le contrat de prêt. Bizarre pour une société de gestion de fortune capable de mobiliser un tel montant et qui soit si discrète.
Après recherches sur le web, nous avons localisé cette société en Suisse, à Zurich où elle est enregistrée au capital de 50 000 Francs Suisses, soit moins de 500 Millions de Francs Guinéens ! Cette société dispose d’une page web, avec très peu de détails sur ses références. Mais toute son activité est relative au conseil financier et rien de plus. Impossible d’avoir son bilan déposé au fisc suisse.
(Voir extraits imprimés des informations recueillies sur les deux sociétés en annexe.)
Conclusion
Toutes les informations disponibles sur les partenaires, technique et financier indiquent qu’ils n’ont ni les compétences, ni la surface financière pour mobiliser 230 millions d’Euros. Rien que ces découvertes suffisent pour affirmer sans crainte de se tromper, qu’aucun gouvernement responsable ne peut traiter avec de telles entités, pour des réalisations de cette taille. Mais pour confirmer nos craintes, sinon nos soupçons, nous allons nous pencher sur le prêt lui-même.
2. Sur le montant du prêt
On nous annonce un montant de prêt de Deux cent trente millions (230 000 000) d’Euros, soit au cours actuel, au moins 2400 Milliards de Francs Guinéens, c’est-à-dire près de la moitié du budget d’une année de notre pauvre pays. Plus grave, aucune estimation des coûts par réalisation, ne nous indique le détail des emplois de cette somme faramineuse. La Convention de prêt n’est assise sur aucune étude de faisabilité chiffrée. En théorie, avec un tel budget, on pourrait même avoir des centres de formation aux portails en or massif… Même les modalités de décaissements restent floues. Nous craignons que les dispositions contractuelles n’amènent en fait à aggraver lourdement l’endettement et à appauvrir la Guinée, en violation des dispositions légales sur les marchés publics.
3. Le taux d’intérêt
Il est annoncé dans la note du gouvernement, un taux d’intérêt annuel de 1.5%, ce qui est proprement incroyable, s’agissant d’un pays qui n’a même pas de note auprès des agences internationales de notation (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch, etc.). Pour rappel, avant la crise du Coronavirus, les intérêts des Bons du trésor américains (les Treasory bonds à 30 ans) qui font référence en ce domaine, étaient à 2.25%. Par quel miracle la Guinée peut-elle obtenir un taux d’intérêt aussi mirifique auprès d’organismes privés? Habituellement, ce sont les gouvernements et parfois les institutions financières internationales bien connues qui octroient ce genre de facilités.
4. Sur l’ « Élément de don »
Dans sa communication, le gouvernement nous annonce fièrement que ce prêt « concessionnel » est assorti d’un don de 36.15% de 230 Millions d’Euros. Malheureusement, nulle part dans la Convention de prêt, cette étrange libéralité n’est mentionnée.
Qu’on me permette donc de poser une question qui peut paraître idiote à certains : Comment deux sociétés, dont l’une n’a pas de capitaux propres, pas de compte de banque, pas de bilan, pas de personnel et l’autre qui n’a qu’un capital de 50 000 SF, peuvent-t-elles faire un don semblable à la pauvre République de Guinée ? La réponse est pour moi évidente…
5. Les énormes risques pris par le gouvernement dans cette affaire
Il est dit dans la Convention de Prêt, Article II : Exécution du projet, Section 2.3 que le Prêteur s’engage à « …Garantir la provenance des fonds conformément à la législation bancaire, la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, le crime organisé et le terrorisme. »
Or, de tous les faits exposés, de toute l’analyse qui précède et de notre modeste expérience en la matière, rien, absolument rien, ne garantit qu’en s’engageant dans une telle opération, le gouvernement de la République de Guinée, ne risque pas de se rendre complice de faits délictueux qui relèvent au plan international, des pratiques, du crime organisé.
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En conclusion, je ne juge même pas utile de poursuivre l’analyse de cette Convention de Prêt, un texte d’une grande banalité par ailleurs. Nous demandons au gouvernement de bien vouloir retirer purement et simplement ce projet de loi que nous considérons comme un danger public. Le noble projet de relance vigoureuse de la formation technique et professionnelle en Guinée doit être repensé, autrement.
A vous, Honorables collègues et chers compatriotes, sans considération d’obédience politique, je vous demande de ne pas accepter de voter un tel texte, car vous n’aurez fait que contribuer à enfoncer davantage notre pays qui croupit dans la misère et le sous-développement, la corruption et l’enrichissement illicite, depuis qu’il a accédé à l’indépendance, il y a bientôt 62 ans. Et comme nous le voyons ici, ces tendances se sont aggravées depuis 2011. Avec ce texte, nous avons un exemple vivant de tout ce qui a mené l’Afrique post-coloniale à la pauvreté extrême et à la dépendance, presque perpétuelle. Vous êtes donc prévenus et j’espère de tout cœur, quoi qu’il arrive, vous n’allez pas vous rendre complice de ce que je considère comme une forfaiture contre les intérêts du peuple de Guinée.
Je vous remercie de votre attention et de votre patience.
Conakry, le 4 juin 2020
Mamadou Baadiko BAH Député à l’Assemblée Nationale