La catastrophe annoncée n’a pas eu lieu. Le continent compte beaucoup moins de contaminations et de morts que l’Europe. C’est un fait établi, mais les explications, sans doute multiples, font débat, selon une enquête de https://www.ouest-france.fr.
L’Afrique est-elle réellement moins touchée par la pandémie ?
L’Afrique et son 1,3 milliard d’habitants (17 % de la population mondiale) compte, lundi 11 mai, 64 214 contaminations (soit 1,4 % du total mondial) et 2 293 morts (0,7 %), selon l’Africa CDC, le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies basé en Éthiopie. Deux mois après le premier cas connu sur le continent (le 14 février en Égypte), la catastrophe redoutée par de nombreuses organisations médicales et/ou gouvernementales ne s’est pas produite.
Pendant un temps, pour expliquer le « mystère », on a avancé une absence de politique massive de dépistage (cela dit, comme en France…), voire un comptage aléatoire des décès. Dans ce cas, les systèmes de santé auraient dû exploser. Cela n’est arrivé dans aucun pays, que ce soient les plus touchés (Egypte, Algérie, Afrique du Sud) ou les plus pauvres (Niger, Tchad…).
Comment l’expliquer ?
Un élément fait consensus : la jeunesse de la population. Si le virus peut toucher tout le monde, on sait que la forme asymptomatique du Covid-19 frappe plutôt les jeunes et la forme grave les personnes âgées. En France, les trois quarts des morts ont plus de 75 ans. Or, seuls 5 % des Africains ont plus de 65 ans. Forcément, avec un âge médian (19,7 ans) deux fois inférieur à celui de l’Europe (42,5 ans), la population est moins vulnérable. Sans oublier qu’en Europe de l’Ouest, selon les pays, entre 30 et 50 % des décès sont intervenus dans des maisons de retraite, qui n’existent pas en Afrique.
Autres éléments qui jouent en faveur du continent : une densité et une mobilité de la population plus faibles. Les cas particuliers de l’Égypte et de mégapoles comme Lagos (Nigeria) n’y changent rien. À rebours des clichés, l’Afrique affiche une densité d’environ 40 habitants par km2, contre 180 au km² en Europe de l’Ouest. Même chose pour les échanges internationaux : on a beaucoup évoqué les liens nouveaux et en pleine expansion avec la Chine, mais ils restent marginaux à l’échelle mondiale. Un seul aéroport africain, celui de Johannesburg, figure dans le top 50.
Le climat joue-t-il un rôle ?
C’est une piste sur laquelle travaillent les scientifiques. Des expériences in vitro à l’Institut Pasteur à Paris ont démontré que la chaleur ne bloquait pas le développement du virus. Depuis, des études britanniques et américaines ont cependant avancé que chaleur et humidité réduisaient son potentiel infectieux. Comme beaucoup de choses avec ce nouveau coronavirus, il est trop tôt pour trancher.
Les Africains ont-ils une meilleure immunité ?
Des chercheurs ont observé une plus faible contamination au coronavirus dans les pays les plus touchés par le paludisme ou la tuberculose. De là à en tirer la conclusion que les traitements antipaludéens à base de chloroquine ou que le vaccin BCG favorisent l’immunité, c’est évidemment prématuré, et peut-être erroné.
Des médecins africains, mais aussi le centre Pasteur du Cameroun, s’interrogent aussi sur le fait de savoir si l’exposition régulière à des virus, parasites ou bactéries a pu renforcer la résistance immunitaire au coronavirus. Là encore, une certitude : trop tôt pour trancher.
A-t-on sous-estimé la capacité de réponse des Africains ?
Peut-être, en se focalisant trop sur l’incapacité (réelle) des systèmes de soins à prendre en charge un afflux de malades graves. En revanche, confrontés à de multiples menaces (paludisme, Ebola, etc.), beaucoup de pays africains ont développé une capacité à gérer les risques, en s’appuyant sur les communautés locales. Peu de gens, notamment âgés, restent isolés, ce qui facilite la détection précoce des malades.
La plupart des États ont aussi réagi très tôt à la menace en fermant leurs frontières et en imposant des confinements, à un moment où l’épidémie n’en était qu’à son tout début en Afrique. Cela a contribué à freiner la diffusion du virus.
L’Afrique est-elle tirée d’affaire ?
Sûrement pas. La courbe des contaminations demeure à la hausse. Surtout, l’Organisation mondiale de la Santé met en garde contre le scénario d’une diffusion lente du Covid-19 sur le continent. Jeudi, à Brazzaville, son bureau régional pour l’Afrique a dévoilé « un modèle [qui] prévoit un taux de transmission plus lent, un âge plus bas des personnes atteintes de maladies graves et des taux de mortalité plus faibles », mais qui pourraient tuer « 83 000 à 190 000 personnes au cours de la première année. »