Labé, 04 Mars (IBC) – Phénomène jadis rarissime, voire inconnu sous nos cieux, le suicide, autrement dit le fait de s’ôter intentionnellement la vie est en train de devenir de plus en plus récurent pour ne pas dire de se banaliser. En l’espace d’une semaine au mois de février passé, rien que dans la préfecture de Labé, deux personnes de familles différentes se sont données la mort soit une femme et un homme. Si l’homme a préféré la pendaison, la femme, elle a fait montre de plus de hargne et de détermination au passage à l’acte en s’auto égorgeant. Suffisant pour tirer la sonnette d’alarme. Le phénomène n’est pas circonscrit dans cette préfecture ni dans cette région, il peut resurgir partout et à tout moment, prévient Dr Ataoulaye Sall, un chirurgien viscéral qui fait valoir ses droits à la retraite à Labé, à travers votre quotidien en ligne infosbruts.com basé en Moyenne Guinée.
Ce qui me frappe en tant que médecin, c’est la facilité et la célérité avec lesquelles la famille soutient à chaque fois que « la victime souffrait depuis deux jours voire une semaine d’une dépression mentale qui n’était pas apparue au grand jour, mais que les plus proches avaient constatée ». Évidemment sans rien faire.
La question que je me pose est de savoir : est-ce que la victime avait donné effectivement des signaux avant-coureurs, qui n’ont pas été décryptés, avant coup, comme le laissent entendre les proches ou bien s’agit-il pour la famille d’évacuer purement et simplement une question gênante d’autant plus que dans notre milieu on soutient que celui qui s’ôte la vie intentionnellement sera jugé par le Créateur au même titre que celui qui se serait rendu coupable d’un meurtre prémédité. Celui qui se tue n’est-il pas le meurtrier d’un homme dit-on ? Or aucune famille ne souhaiterait compter en son sein un meurtrier même si le jugement c’est pour l’au-delà !
Dans la première hypothèse, ça voudra dire qu’au prix d’efforts soutenus (mettre en place des structures publiques, du personnel qualifié à travers le pays pour aider les personnes qui seraient dans le besoin d’être écoutées, soutenues, accompagnées à se libérer…) on pourra détecter les signaux, isoler les candidats au suicide et assurer une prise en charge avant qu’ils ne passent à l’acte. Ça prendra du temps, mais le résultat escompté en vaudra la peine. Avec la deuxième, ça voudra dire que nous sommes dans un déni purement et simplement (on n’a rien vu venir) auquel cas le premier pas consisterait à faire face à la réalité et à chercher à comprendre pourquoi il y’a tant de suicide. C’est en tout cas un champ d’étude pour essayer de comprendre pourquoi ce malaise, ce mal être et les motivations qui sous-tendent ce phénomène chez nous étant donné que les causes du suicide varient d’une région à une autre pour ne pas dire d’un pays à un autre.
Dans tous les cas, une mise au point me parait importante : la question du suicide excède largement le domaine de la santé mentale, et cet acte n’est pas forcément à mettre en relation avec une pathologie mentale ou une souffrance psychique. Pour mémoire, il existe des suicides qui relèvent des motivations religieuses (martyrs), politiques (actes de protestation), philosophiques (pertes de sens de la vie), culturelles (suicide d’honneur) … Le suicide est un véritable fait social, c’est-à-dire qu’il est déterminé non seulement par des facteurs psychologiques individuels, mais aussi par le contexte social environnant.
Dans le contexte de la maladie mentale, le suicide représente la complication ultime d’un certain nombre de pathologies. L’association de deux troubles notamment troubles anxieux et troubles dépressifs augmente le risque suicidaire.
La psychologie révèle que la plupart des personnes qui se suicident traversent d’abord des moments difficiles et très éprouvants pour eux. Cela peut être dû à une conjoncture précise : la découverte des choses qu’on n’aime pas (déception amoureuse…), la perte inattendue d’emploi ou de personnes qui nous sont chères, des surprises désagréables qui se sont invitées dans notre vie, ou qu’on vit un contexte socioéconomique défavorable qui ne permet plus de joindre les deux bouts… bref, une situation que nous avons du mal à traverser et qui nous perturbe complètement l’existence. Dès lors, certaines personnes qui se retrouvent ainsi avec le « couteau à la gorge » se demandent si elles doivent continuer à vivre cette pression sociale. Le déni de soi-même, c’est-à-dire le refus de sa propre situation, de sa propre personnalité ou de son propre vécu, compte tenu de plusieurs raisons s’installe peu à peu. Ce qui parfois les pousse finalement à commettre l’irréparable.
L’autre paramètre que l’on pourrait invoquer est le déséquilibre émotionnel dans nos sociétés. Les gens ont de plus en plus mal à pouvoir gérer leur peur, leur angoisse, leur stress. Or si on a du mal à vivre nos émotions, à avoir une emprise sur nos émotions, ça devient un problème. En ce sens que si nos émotions nous gouvernent, elles peuvent nous amener à prendre des décisions désastreuses qui frisent la fin de vie.
Il en est de même des troubles pathologiques de l’humeur, la dépression qu’elle soit isolée où dans le cadre d’un trouble récurent de l’humeur (dépression unipolaire ou maladie bipolaire) peut être la cause d’un suicide.
Il existe des signes avant-coureurs qui laissent croire qu’une personne pense au suicide. Cela dépend évidemment du type de personnalité de l’individu. Mais, dans la plupart des cas, les victimes donnent des alertes voire des indices de leurs intentions à travers des mots et des paroles (je voudrai partir, je n’en peux plus, je ne vous embêterai plus longtemps…). Parfois à travers des comportements (perte d’appétit ou boulimie, négligence de son apparence physique…). Parfois aussi à travers des émotions (anxiété, tristesse…). Les signes de passage imminent à l’acte peuvent se révéler à travers certains comportements (la personne a mis de l’ordre dans ses affaires personnelles et parait anormalement calme, cela signifie qu’elle a planifié son passage à l’acte suicidaire dans les jours qui suivent, l’expression de son mal-être est soi omniprésente ou au contraire absente. Bref d’une manière ou d’une autre, ces victimes envoient des messages de détresse et de souffrance à leur entourage. Seulement, chacun ayant son lot de soucis, les gens ne s’aperçoivent pas souvent que le voisin, celui que nous avons en face de nous, traverse des difficultés.
Lorsqu’une personne commence à s’isoler, à développer des troubles du sommeil, à se détourner de ses centres d’intérêt et des activités qui lui procurent habituellement du plaisir, à révéler une démotivation qui peut aller jusqu’à l’abandon de ses projets d’avenir, à évoquer l’idée d’abréger sa souffrance…, alors il faut la prendre au sérieux et agir aussitôt en conséquence, au lieu d’attendre que l’irréparable ne se produise pour in fine dire qu’elle était bizarre, depuis quelque temps.
Ainsi, il peut y avoir des moyens pour aider les suicidaires, les empêcher de passer à l’acte. Tout en estimant qu’il n’y a pas de solution panacée, de solution miracle halte au suicide ». Il faut utiliser l’approche éducationnelle, en faisant un plaidoyer à travers les lieux d’apprentissages, essayer d’être à l’écoute de la personne en danger, de lui parler, de la rassurer et de l’amener vers les structures spécialisées. Il s’agit aussi de sensibiliser au fait que le suicide n’a jamais été une réponse positive aux préoccupations auxquelles les humains se sont confrontés.
Dr A. SALL
DESS en management hospitalier
Ancien Directeur Général de l’Hôpital Régional de Labé