Guinée, 22 Sept (IBC) – Il apparait clairement que la médecine moderne dotée d’une respectabilité et d’un prestige tout neuf d’un point de vue culturel n’a encore malheureusement que peu de prise sur la pratique médicale et les soins médicaux prodigués à la population, selon le constat fait dans « ombres et lumières sur la santé en Guinée : sous les feux d’Ebola », paru aux éditions Harmattan 2016, par le Dr Ataoulaye Sall médecin spécialiste en chirurgie viscérale et en management hospitalier.
En président la cérémonie d’ouverture des états généraux de la santé organisée le 24 juin 2014 à Conakry, le Pr Alpha Condé déclarait que « notre santé est malade ; il faut être aveugle pour ne pas le voir. » Cette maladie du système sanitaire guinéen, toujours d’actualité, est largement décrite et démontrée à travers de nombreuses expériences accumulées et partagées par le Dr Ataoulaye Sall dans son livre.
La rédaction de votre quotidien en ligne infosbruts.com, basé en Moyenne Guinée vous invite à lire attentivement l’extrait ci-dessous tiré de l’ouvrage. Ces lignes qui suivent cadre parfaitement avec les réalités du moment en République de Guinée.
Citation.
Si la maladie s’inscrit et se « spatialise » dans un corps malade, la dynamique de la quête de soins, quant à elle, s’inscrit dans un espace social, historique et culturel. Il se pose alors la question des rapports que ces différents espaces entretiennent entre eux. La question de leurs interactions et de leurs communications, et celle capitale, de l’ordre de leurs prééminences respectives.
Aujourd’hui, en regardant de près le vécu des malades dans la quête de soins de notre province, qui se recoupe par¬faitement avec la réalité des autres villes et provinces du pays, le constat fait est intéressant et mérite quelques ré¬flexions.
Si la médecine moderne s’est dotée, ici comme ailleurs, d’une respectabilité et d’un prestige tout neuf d’un point de vue culturel, elle n’a encore malheureusement que peu de prise sur la pratique médicale et les soins prodigués à la po¬pulation. Nous sommes encore dans une époque où règnent tous ceux qui se disent posséder un « don » ou un « secret » magique.
Le pays entier foisonne de guérisseurs, de « conjureurs », de rebouteurs, de charlatans et d’imposteurs virils, qui ont le sang fort, le regard perçant et la main heureuse. Tout ce monde hétéroclite semble bien obscur à l’esprit moderne, répand ses « bienfaits » sur une population crédule et sou¬vent superstitieuse. Sont à l’œuvre également tous les descendants de la médecine populaire nourrie des traditions les plus reculées en provenance de tout le pays, de la sous-région et même de l’Asie lointaine.
Ici tout le monde trouve un terreau fertile. Les médias publics et privés, à travers leurs pages commerciales, sont mis à contribution pour informer que, tel venu de tel en¬droit, est capable de guérir les hémorroïdes, le diabète, l’hypertension, bref, toutes les maladies imaginables et ini¬maginables.
Régulièrement des diabétiques connus, suivis et parfaite¬ment bien équilibrés dans les formations sanitaires, sont débauchés au profit d’un nouvel imposteur qui donne ses contacts dans les médias et qui se fait une publicité tous azi¬muts. Il arrive qu’au bout d’un petit temps, un pauvre malade ne respectant plus son régime, déséquilibre son dia¬bète et sombre dans un état moribond. C’est encore la famille et les amis qui le reconduisent comme un forcené à l’hôpital. Rien à faire cet épisode était prescrit dans son par¬cours ici-bas ! Même les maladies contagieuses à fort potentiel épidémique sont revendiquées par tout le monde comme domaine de prédilection du savoir. Seul le choléra fait figure de parent pauvre. Pauvre choléra ! Même Ebola, à son avènement, trouvera des guérisseurs revendiquant un savoir et une compétence pour guérir les malades.
Dans cette gymnastique où, dans l’impunité totale, on abuse de la crédulité et de l’ignorance d’un pan entier de notre population, il y a des personnes qui poussent à la fois l’inspiration et l’infantilisation jusqu’au comble du ridicule : tenez, tel cet imposteur qui, invité d’une radio locale pour parler de ses compétences dans l’art de guérir, prit l’habitude subtilement de préparer en amont un groupe de complices pour l’appeler une fois sur le plateau de la radio pour dire combien ils avaient mal à la tête, au dos, au ventre, etc… L’imposteur, en pleine émission interactive, récitait des in¬cantations et moins d’une minute plus tard, le complice auditeur rappelait pour dire que le mal avait disparu. Quel talent ! Quelle compétence ! Depuis, personne, de la radio, jusqu’à la plus haute autorité sanitaire, et même administra¬tive de la province, n’a cru devoir arrêter des tels agissements. Pourtant, le silence de ceux qui assistent à l’injustice les rend coupables au premier degré.
C’est dire que, la préséance et le monopole naturels de la profession médicale dans la mission de guérir, ne sont nul¬lement évidents à cette époque de notre histoire. Mais bien plus, au-delà de cette contestation des compétences sur le terrain entre médecine et « guérissage » illégal, nombre d’activités sont presque abandonnées en périphérie aux mains d’amateurs aux compétences hypothétiques. Ces « ar¬racheurs de dents » qui se déplacent d’un village à un autre trouvent leur place dans la foule hétéroclite des autres char¬latans, conjureurs rebouteurs … qui dispensent leurs soins au gré de leurs inspirations et aux risques et périls de leurs patients. A côté, non moins nocifs, ces petits marchands de médicaments avec une valisette bourrée de toute sorte de drogues d’origine douteuse et de conservation aléatoire qui se baladent d’un quartier à un autre, d’un hameau à un autre proposant des panacées pour toute sorte de maladie sans jamais n’avoir fréquenté ni une institution de formation ni un établissement de soins.
Il est clair qu’au-delà des préjugés et superstitions qui sans l’ombre d’un doute freinent le recours à la médecine mo¬derne, ce sont des pans entiers de la santé des hommes que l’art médical néglige. Si l’obscurantisme des populations et le frein économique que représente la “cherté” des honoraires médicaux ne sont pas à négliger, l’envergure du « guéris¬sage » illégal provient en dernière analyse de l’immensité du champ libre que lui laisse, à son corps défendant, la méde¬cine officielle dont l’efficacité, hélas, n’est pas toujours évidente devant toutes les maladies.
FIN DE CITATION