Le 17 mai, les Béninois et les Béninoises se sont rendus aux urnes à l’effet d’élire leurs conseillers municipaux de 77 communes. Cinq formations politiques sont en lice. Quatre prêchent pour la chapelle de Patrice Talon. Seule une formation se réclame de l’opposition. Et même là, il convient d’émettre des doutes. En effet, les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), le seul parti qui se réclame de l’opposition et qui prend part à la compétition, est soupçonné de rouler, lui aussi, pour Talon. C’est d’ailleurs pour cette raison essentielle que son géniteur, l’ancien président Yayi Boni, l’a renié officiellement en claquant bruyamment la porte. De ce fait, l’on peut déduire logiquement que toutes les cinq formations politiques qui ont participé aux municipales du 17 mai dernier, battent pavillon Talon. Cette absence de l’opposition, la vraie, au scrutin, illustre s’il en est encore besoin, la volonté réaffirmée de Talon de ligoter la démocratie au Bénin. L’homme, en effet, n’est pas à son premier coup de canif porté à la démocratie.
C’est un Bénin politiquement divisé qui a organisé, hier, ses municipales
Au mois d’avril 2019, il avait, envers et contre tous, organisé des législatives en verrouillant les choses de sorte à exclure l’opposition. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait réussi avec brio son coup. Car, seuls deux partis, à savoir l’Union progressiste (UP) et le Bloc républicain (BR), se réclamant de la mouvance présidentielle, avaient pu participer au scrutin. Résultat : l’Assemblée nationale béninoise est la plus monocolore d’Afrique. Même chez les satrapes les plus avancés en grade sur le continent noir, l’on a mis un point d’honneur à sauver les apparences en concédant à l’opposition quelques sièges. Au pays de Talon, on n’est guère choqué par une Assemblée qui a tous les attributs du Soviet, du nom de l’Assemblée nationale de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). En tout cas, Patrice Talon n’est pas gêné aux entournures, de façonner la démocratie béninoise en excluant royalement l’opposition. L’on peut même dire que c’est sa marque de fabrique. C’est pourquoi il a réagi en écorché vif lorsque la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) avait ordonné au Bénin, suite à une plainte de l’opposant en exil, Sébastien Ajavon, de suspendre l’organisation des municipales d’hier. Talon est donc allergique à la critique, d’où qu’elle vienne. Et en cela, il ressemble comme deux gouttes d’eau à Alpha Condé. La CADHP en sait quelque chose pour avoir eu le culot de donner raison à Sébastien Ajavon. C’est donc un Bénin politiquement divisé qui a organisé, hier, ses municipales. Et c’est à juste titre que les principales forces de l’Opposition ont appelé les Béninois et les Béninoises à les boycotter. C’est pourquoi on sera particulièrement attentif au taux de participation. L’appel de l’Opposition au boycott, avait été, peut-on dire, entendu lors des législatives de 2019 puisque seuls 27% des électeurs avaient daigné, à l’époque, faire le déplacement des urnes. Cette fois-ci, à la crise politique est venue s’ajouter la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus. L’un dans l’autre, l’on peut craindre que le taux de participation soit davantage tiré vers le bas.
Le passage de Talon à la tête de l’Etat nous enseigne que la démocratie n’est jamais acquise pour toujours
Mais, dans un tel scénario, c’est la crise politique qui peut être pointée beaucoup plus que la crise sanitaire. En effet, Patrice Talon a beau être un anti-démocrate, il faut lui reconnaître sa gestion cohérente, réaliste et efficace du coronavirus. Et à l’occasion de ces municipales, tout a été mis en œuvre pour ne pas livrer les électeurs et électrices en pâture à la Covid-19. Ce défi, l’on peut compter sur Patrice Talon pour le relever. A contrario, tout laisse croire qu’il n’a pas le profil de quelqu’un qui s’est invité dans l’arène politique pour apporter « de la terre à la terre » à la démocratie béninoise. Patrice Talon, peut-on dire, est un homme qui s’est trompé de vocation. Et les Béninois et Béninoises, dans leur majorité, peuvent se mordre les doigts d’avoir porté leur choix sur lui, tant il est en train de faire mal à la démocratie. En effet, depuis le renouveau démocratique amorcé par Mathieu Kérékou, en 1990, tous les régimes qui se sont succédé à la tête du Bénin, ont apporté leur pierre à l’édification de la démocratie dans ce pays. Dans la foulée, arriva un certain Patrice Talon. Avant même la fin de son premier mandat, il a réussi l’exploit de rendre méconnaissable la légendaire démocratie béninoise. En tout cas, son passage à la tête de l’Etat nous enseigne que la démocratie n’est jamais acquise pour toujours. Elle est un bien fragile sur lequel il faut veiller comme du lait sur le feu. C’est pourquoi les organisations de la société civile béninoise, celles qui ont fait de la promotion de la démocratie leur credo, doivent ouvrir l’œil et le bon de sorte à arrêter Patrice Talon dans sa marche obstinée vers la liquidation du patrimoine démocratique du pays. Déjà, il a transformé l’Assemblée nationale naguère riche en diversités politiques, en une vulgaire chambre d’enregistrement. Et la probabilité est forte que les exécutifs locaux qui sortiront de ces municipales, soient à 100% acquis à sa cause. Et le pire pourrait être à venir puisqu’à l’allure où vont les choses, il n’est pas exclu qu’il contracte, à son tour, le virus de la révisionnite de la Constitution, pour s’accrocher au pouvoir.
« Le Pays »