Fin de cavale pour l’un des derniers fugitifs visés par un mandat d’arrêt de la Justice internationale dans le cadre du génocide rwandais, depuis samedi 16 mai dernier à l’aube, en région parisienne. Félicien Kabuga, c’est son nom, a été arrêté grâce, incroyable ironie du destin, à l’information donnée par ses propres enfants sur le lieu précis de sa planque, alors qu’il vivait tranquillement, pour ainsi dire, sur le sol français sous une fausse identité. C’est un homme radotant et rassasié de jours (84 ans) qui, après avoir joué 26 ans durant au chat et à la souris avec la Justice internationale, sera présenté au parquet de Nanterre en vue de son incarcération dans les jours ou heures à venir, avant que la Cour d’appel de Paris ne décide de son extradition ou non vers La Haye pour répondre de 11 chefs d’accusation de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Parti de rien pour devenir l’homme le plus riche du Rwanda à la fin de la décennie 80, Félicien Kabuga avait mis son immense fortune à contribution non pas pour être utile à ses compatriotes, mais plutôt pour désosser son pays déjà plusieurs fois victime de morsures de l’histoire, en s’impliquant activement dans la fondation et le financement de la tristement célèbre Radio des mille collines qui diffusait ad nauseam, l’idéologie suprématiste des extrémistes hutus, selon laquelle les autres ethnies et, en l’occurrence les Tutsis, sont de catégorie inférieure et ne méritent pas autre chose que la mort. Malheureusement, le président rwandais d’alors, Juvénal Habyarimana, avait fini par croire à la réalité des fariboles chantées et dansées par ses flagorneurs jusqu’auboutistes de la pire espèce, et ce qui devait arriver arriva à partir d’avril 1994 avec la mort de près d’un million de Tutsis et de Hutus modérés, suite à l’attentat qui a coûté la vie au président le 6 avril de la même année.
La France voudrait se donner bonne conscience et solder les comptes…moraux avec le Rwanda
Félicien Kabuga, qui se retrouve aujourd’hui dans les filets de la Justice internationale, aurait importé, quelques mois plutôt, des machettes en quantité suffisante pour équiper un homme hutu sur trois, en vue de la perpétration du pogrom. C’est donc certainement avec un énorme soulagement que les survivants de cette tuerie de masse et les parents des victimes, ont accueilli la nouvelle de l’arrestation de celui dont on se souvient encore du regard goguenard et de la douceur assassine quand il parlait de la situation sur le terrain, même si rien n’indique, au regard de son âge, qu’il va effectivement payer pour ce qu’il a fait. Quoi qu’il arrive, le fait de savoir que l’un des metteurs en scène de la plus grande tragédie de l’histoire contemporaine africaine, est entre les mains de la Justice, est déjà un motif de consolation pour les parties civiles, en attendant que les deux autres têtes de gondole du génocide que sont Protais Mpiranya et Augustin Bizimana, toujours en fuite, ne prennent, eux aussi, toute la mesure des propos de l’Ecclésiaste selon lesquels « Vanités des vanités, tout est vanité » ici-bas. Avec l’arrestation de leur comparse Félicien Kabuga, Protais Mpiranya et Augustin Bizimana ont désormais le sommeil léger, surtout quand ils savent que même la France, qui n’est pas exempte de reproche dans les actes qu’elle a posés avant et pendant le génocide , a décidé, au nom de la réconciliation scellée avec le Rwanda en 2010 après des années de brouille, d’exécuter le mandat d’arrêt international assorti d’une ordonnance de transfert qui enjoint à tous les Etats membres de l’ONU, de rechercher, d’arrêter, de transférer et de traduire tous les accusés de génocide en fuite devant les tribunaux. C’est, en tout état de cause, un pas de plus vers la reddition des comptes pour tous ces présumés assassins qui semblaient trouver en la France, une terre d’asile, malgré les nombreuses notices rouges d’Interpol qui les concernent. Reste à savoir si l’Hexagone est décidée à tourner définitivement la page de la discorde avec le Rwanda par rapport au génocide, car, si Félicien Kabuga a peut-être servi de mouton de sacrifice dans la normalisation en marche des relations entre les deux pays, il ne faudrait pas oublier qu’il y a encore quelques obstacles à lever, notamment la présence sur le sol français, très décriée par Kigali, de la veuve du président Habyarimana qui vit en région parisienne depuis l’assassinat de son mari. Même si l’arrestation de cette dernière et son extradition comme le souhaite le Rwanda, ne sont certainement pas pour demain, des présumés génocidaires toujours terrés en France pourraient, comme Félicien Kabuga en fin de semaine dernière et Pascal Simbikangwa en 2009, passer eux à la trappe, non seulement à cause des mandats d’arrêt qui pèsent sur eux, mais aussi et surtout parce que la France voudrait enfin se donner bonne conscience et solder les comptes…moraux avec le Rwanda après son soutien avéré au gouvernement intérimaire qui a organisé et planifié les massacres qui ont ému et révolté le monde entier, au milieu de la décennie 90.
Hamadou GADIAGA